Préambule à l’ouvrage Basilico/Beyrouth

Cette ville a une assise. Des limites. Une structure.
Qu’importent les bouleversements des années de guerre et d’avant-guerre dont je m’efforce de rechercher les traces dans les photographies que j’examine.
Reviennent à moi, la mer, la montagne, et le ciel.
La mer que je sais pillée, salie par les ordures déversées.
La montagne morcelée, lotie, occupée arpent après arpent.
Le ciel bouché.
Mais toujours, la montagne, la mer, et le ciel.
Revient surtout le silence de la ville.
Je m’explique difficilement cette sensation paradoxale.
Mais elle s’impose dans ces images, insistante.
Remonte alors confusément à ma mémoire, une photographie ancienne : au loin la silhouette basse de la montagne touchant la mer, plus près, la ville, ses maisons désordonnées (sa propre cohérence), à l‘avant-plan des maisons enfouies sous les vergers. Une insouciante nonchalance traverse la ville.
On m’explique que les photographies que j’observe maintenant ont été réalisées à la chambre par un Photographe italien.
De fait, les villes italiennes, de même que les autres villes méditerranéennes sont toujours installées sur un site.
Et quelque soient les transactions lentes ou violentes dont elles sont l’objet, le paysage perdure.
De son côté la chambre possède cette exceptionnelle capacité à produire des images silencieuses.
Elle avale lentement le paysage, puis le restitue dilaté et précis.
Cette opération physique, exempte d’aucun mécanisme saisit le bourdonnement auditif et visuel qui accompagne la ville.
La ville que je vois, aujourd’hui dans ces photographies, surtout les vues panoramiques, est bien évidement celle qui m’a été montrée durant ces vingt dernières années de guerre à travers des images de renversement et d’éventrement jusqu’au moindre détail.
S’imposent pourtant, plus puissants encore : la mer, la montagne et le ciel, organisant la permanence de la ville.
Elle semble indifférente à ce qu’elle a traversé, sûre d’elle-même.

S.Tabet
Août 1994