Notes concernant l’enseignement de « La Théorie et de la Pratique du Projet »

L’objet d’une école d’architecture est d’enseigner l’architecture — de dispenser des enseignements pour l’architecture.

C’est dire la place qu’occupe le projet dans l’enseignement de l’architecture, la spécificité des enseignements d’accompagnement, et l’importance de leur adéquation à celle-ci.

? Enseignements pour l’architecture (sciences humaines, arts plastiques et construction) devraient donc trouver la juste articulation en occupant leur juste place et en assurant un contenu adapté.
Il s’agirait en quelque sorte d’éviter la situation de coupure dans laquelle coexisteraient d’une part des disciplines qui croiraient « informer » le projet, et de l’autre du projet qui ferait vaguement et sélectivement appel à ces disciplines.

À ce sujet, je reste frappé de constater en moi la permanence, malgré la durée écoulée depuis l’achèvement de mes études, de l’extrême gâchis, résultant du matraquage de disciplines autonomes aussi peu intégrées que nombreuses (langues étrangères, droit, culture générale, mathématiques, résistance des matériaux, « management », etc.) appelées à assurer une hypothétique efficacité, mais également de l’inaptitude de certains enseignements d’accompagnement pourtant importants.

? Enseignement de l’architecture : enseignements théoriques (histoire et théories de l’architecture), et enseignement du projet.

L’enseignement de l’histoire de l’architecture et de ses théories est essentiel, en ce qu’il offre aux étudiants la possibilité de constituer leur culture. Mais il devrait permettre surtout de procéder à cet aller-retour absolument nécessaire entre la démarche projectuelle et ses corrections à la lumière de l’histoire de l’architecture et de ses théories : explorer l’articulation du programme avec le projet, les questions de structure qu’implique sa réalisation, les questions générales de typologie, de
composition, identifier une écriture architecturale et l’utiliser dans la mise au point du projet, etc.

L’enseignement du projet est le noyau spécifique de l’enseignement de l’architecture.

Ce processus de projetation est indéniablement complexe parce qu’il fait appel à une multitude de dimensions, et de champs, ressentis parfois par les étudiants comme autonomes avec pour conséquence la simplification et l’appauvrissement, ou ressentis d’autres fois comme complexes et imbriqués et c’est alors le désarroi et l’immobilisme.

Pourtant, dans ce processus complexe, les outils privilégiés demeurent paradoxalement simples : le regard, l’écriture, la lecture, la manipulation par la maquette et surtout le dessin — le dessin manuel — en ce qu’il n’est pas seulement un simple moyen d’expression, mais une « pensée en actes graphiques ».

Il offre la possibilité de noter rapidement (bien plus rapidement qu’en usant de l’informatique) le cheminement de la pensée, ses avancées, ses rétractations, ses contournements.

Cette « démarche projectuelle » ne fait pas appel à la « créativité » des étudiants ou à leur « génie ». Elle s’inscrit plutôt dans le cadre d’un travail « laborieux » puisqu’elle aborde de front cette multitude de paramètres et recherche plus modestement la formation de « bons architectes », du moins en ce qui concerne les étudiants qui se préparent à exercer le métier d’architecte-constructeurs et de praticiens.
En ce qui concerne plus particulièrement l’enseignement de l’architecture en 1ère année, un constat s’impose : les élèves issus du lycée, qui représentent la grande majorité des effectifs de première année n’ont aucune sensibilisation préalable à l’espace, aucune préparation au travail de manipulation de l’espace et de son investigation.

Ce changement radical de champ de réflexion et d’outils de travail entre les études secondaires et le cycle des études d’architecture impose donc une mise en place prioritaire au cours de ce cycle, mais également pour la suite des études, de l’enseignement du projet.

Cette position prioritaire implique pour commencer une mise en adéquation des enseignements pour l’architecture (sciences humaines, arts plastiques, construction) et des enseignements théoriques (histoire et théorie de l’architecture).

Elle implique également l’introduction de changements qualitatifs profonds dans l’enseignement même du projet :

  1. Remise en cause de l’actuel déroulement du contenu des exercices basé sur une stricte séparation entre d’une part, et dans un premier temps l’investigation de l’espace, et d’autre part et dans un deuxième temps l’intervention sur le « concret » et l’échelle. Une démarche plus intégrée de ces deux temps, impliquerait un aller-retour constant. Bien que complexe à mettre en place, elle serait sans-doute beaucoup plus riche et projetterait les étudiants d’emblée dans la matière-même, sans passer par ce temps long de préalables. À cet égard, je ne suis pas du tout sûr que les étudiants perçoivent dans l’état actuel de l’organisation binaire des études, la relation entre ces deux temps. Preuve en est la difficulté que nous avons à introduire en fin des premiers exercices la notion d’échelle, alors même qu’elle
    devrait être un des fondements de notre enseignement.
  2. Révision du mode des cours théoriques en amphithéâtre. Il doit systématiquement accompagner l’enseignement du projet dans son contenu, intégrer des interventions de personnes étrangères à la première année (autres enseignants de l’école ou étrangères à l’école), offrir le contrepoint de la réalité urbaine et de la production architecturale par des visites ciblées et régulières en relation avec l’atelier, (pas seulement une « visite-récompense » de fin de trimestre). La tenue de ce cours régulier et obligatoire doit se limiter à 1h3O environ pour des raisons évidentes de limites de concentration des étudiants.
  3. Importance du dessin manuel comme outil de représentation de l’espace. Étrangement et malgré l’introduction durant l’année écoulée d’un enseignement du dessin, il semble que les difficultés des étudiants à dessiner dans le cadre du dessin dit « codé », mais également dessin d’observation, demeurent très importantes. Il semble donc que l’enseignement des modes fondamentaux de représentation de l’espace (plan, coupe, élévation), ainsi que le croquis comme exercice d’observation de l’espace et de la représentation n’aient pas été réellement abordés.
  4. Restructuration des lieux d’exercice de l’enseignement du projet afin d’assurer prioritairement des espaces de travail à l’intérieur même de l’école pour les étudiants. Cette intervention qui ne nécessite pas obligatoirement une extension des locaux mais une simple réorganisation devrait permettre d’introduire une certaine cohérence, une certaine continuité dans le travail des étudiants, et de rompre l’isolement et la pauvreté du travail à domicile.

L’ensemble de ces infléchissements, dans le contenu et la démarche de l’enseignement en 1ère année impliquent donc une augmentation très sensible des enseignants d’ateliers. Cette augmentation pour des raisons évidentes de gestion de budget, et de temps d’études pour les élèves, aura pour conséquence la suppression ou le report aux années suivantes de certains enseignements actuellement pratiqués.

Elle implique également qu’il soit mis fin à une pratique tout aussi inefficace que scandaleuse du Ministère consistant à recruter des vacataires (ou des « super-vacataires » que sont actuellement les enseignants-associés) à les sous-payer et à leur faire assurer pour des raisons strictement budgétaires un rôle et un statut qui ne peuvent pas être les leurs.

L’état de délabrement de la profession qui ne s’améliorera pas avec les projets en cours de réorganisation de la procédure des marchés publics, ainsi que les difficultés que vivent les écoles d’architecture trouvent une même cause dans le désengagement de plus en plus évident des pouvoirs publics.

Sami Tabet
Juillet 2003